đž Dans Les Plis Sinueux Des Vieilles Capitales
Dansles plis sinueux des vieilles capitalesLivre d'occasion Ă©crit par Taussig, Sylvieparu en 2012 aux Ă©ditions Editions Galaade.ThĂšme : LITTĂRATURE .
enhaut des falaises, beau dans les Ăźles lointaines. Il est beau au coin de la rue, dans les plis sinueux des vieilles capitales. Il est beau oĂč il y a du calcaire et beau oĂč il y a du granit. Sa splen-deur est sans limites. La route est longue, cependant, avant de pouvoir chanter Ă voix haute un allĂ©luia. Une vie dâefforts nây
Dansles plis sinueux des vieilles capitales : Taussig, Sylvie: Amazon.ca: Livres. Aller au contenu principal.ca. Bonjour Entrez votre adresse Livres Bonjour, S'identifier. Comptes et Listes Retours et Commandes. Panier Toutes. Meilleures ventes Prime DerniĂšres
Ledestin, la ville, la famille, l'Amérique, la Perse et la Lithuanie Découvrez nos coups de coeur de la rentrée littéraire.
Ex: "les petites vieilles" ("plis sinueux des vieilles capitales") ; "Le cygne" ("bric-Ă -brac confus"). RĂšgne de l'angulaire, mĂȘme pour les habitants (voir "les sept vieillards" -> vieillard "cassĂ©" et non "voĂ»tĂ©"). Les vieilles sont des monstres disloquĂ©s ("les petites vieilles") -> ĂȘtres qui se soumettent au caractĂšre anguleux du
Dansles plis sinueux des vieilles capitales, OĂč tout, mĂȘme lâhorreur, tourne aux enchantements, Je guette, obĂ©issant Ă mes humeurs fatales Des ĂȘtres singuliers, dĂ©crĂ©pits et charmants. Ces
appendiceaux FDM (ALCHIMIE POĂTIQUE) Car j'ai de chaque chose extrait la quintessence,/ Tu m'as donnĂ© ta boue et j'en ai fait de l'or. "L'Albatros" (LE POĂTE) Le PoĂšte est semblable au prince des nuĂ©es/ Qui hante la tempĂȘte et se rit de l'archer/ Ses ailes de gĂ©ant l'empĂȘchent de marcher. "L'HĂ©autontimoroumĂ©nos" (LE POĂTE) Je suis
ĂVictor Hugo I Dans les plis sinueux des vieilles capitales,OĂč tout, mĂȘme l'horreur, tourne aux enchantements,Je guette, obĂ©issant Ă mes humeurs fatales,Des ĂȘtres singuliers, dĂ©crĂ©pits et charmants. Ces monstres disloquĂ©s furent jadis des femmes,Ăponyme ou LaĂŻs ! Monstres brisĂ©s, bossusOu tordus, aimons-les ! Ce sont encor des Ăąmes.Sous des Continuer la lecture
Dans les plis sinueux des vieilles capitales,/ OĂč tout, mĂȘme l'horreur, tourne aux enchantements []. Les surrĂ©alistes reprendront abondamment ce merveilleux de la rue et de la ville, comme AndrĂ© Breton, dans Nadja (1928), ou Louis Aragon dans Le Paysan de Paris (1926).
GaZSU. A Victor Hugo I Dans les plis sinueux des vieilles capitales, OĂč tout, mĂȘme lâhorreur, tourne aux enchantements, Je guette, obĂ©issant Ă mes humeurs fatales Des ĂȘtres singuliers, dĂ©crĂ©pits et charmants. Ces monstres disloquĂ©s furent jadis des femmes, Ăponine ou LaĂŻs ! Monstres brisĂ©s, bossus Ou tordus, aimons-les ! ce sont encor des Ăąmes. Sous des jupons trouĂ©s et sous de froids tissus Ils rampent, flagellĂ©s par les bises iniques, FrĂ©missant au fracas roulant des omnibus, Et serrant sur leur flanc, ainsi que des reliques, Un petit sac brodĂ© de fleurs ou de rĂ©bus ; Ils trottent, tout pareils Ă des marionnettes ; Se traĂźnent, comme font les animaux blessĂ©s, Ou dansent, sans vouloir danser, pauvres sonnettes OĂč se pend un DĂ©mon sans pitiĂ© ! Tout cassĂ©s Quâils sont, ils ont des yeux perçants comme une vrille, Luisants comme ces trous oĂč lâeau dort dans la nuit ; Ils ont les yeux divins de la petite fille Qui sâĂ©tonne et qui rit Ă tout ce qui reluit. - Avez-vous observĂ© que maints cercueils de vieilles Sont presque aussi petits que celui dâun enfant ? La Mort savante met dans ces biĂšres pareilles Un symbole dâun goĂ»t bizarre et captivant, Et lorsque jâentrevois un fantĂŽme dĂ©bile Traversant de Paris le fourmillant tableau, Il me semble toujours que cet ĂȘtre fragile Sâen va tout doucement vers un nouveau berceau ; A moins que, mĂ©ditant sur la gĂ©omĂ©trie, Je ne cherche, Ă lâaspect de ces membres discords, Combien de fois il faut que lâouvrier varie La forme de la boĂźte oĂč lâon met tous ces corps. - Ces yeux sont des puits faits dâun million de larmes, Des creusets quâun mĂ©tal refroidi pailleta⊠Ces yeux mystĂ©rieux ont dâinvincibles charmes Pour celui que lâaustĂšre Infortune allaita ! II De Frascati dĂ©funt Vestale enamourĂ©e ; PrĂȘtresse de Thalie, hĂ©las ! dont le souffleur EnterrĂ© sait le nom ; cĂ©lĂšbre Ă©vaporĂ©e Que Tivoli jadis ombragea dans sa fleur, Toutes mâenivrent ; mais parmi ces ĂȘtres frĂȘles Il en est qui, faisant de la douleur un miel Ont dit au DĂ©vouement qui leur prĂȘtait ses ailes Hippogriffe puissant, mĂšne-moi jusquâau ciel ! Lâune, par sa patrie au malheur exercĂ©e, Lâautre, que son Ă©poux surchargea de douleurs, Lâautre, par son enfant Madone transpercĂ©e, Toutes auraient pu faire un fleuve avec leurs pleurs ! III Ah ! que jâen ai suivi de ces petites vieilles ! Une, entre autres, Ă lâheure oĂč le soleil tombant Ensanglante le ciel de blessures vermeilles, Pensive, sâasseyait Ă lâĂ©cart sur un banc, Pour entendre un de ces concerts, riches de cuivre, Dont les soldats parfois inondent nos jardins, Et qui, dans ces soirs dâor oĂč lâon se sent revivre, Versent quelque hĂ©roĂŻsme au coeur des citadins. Celle-lĂ , droite encor, fiĂšre et sentant la rĂšgle, Humait avidement ce chant vif et guerrier ; Son oeil parfois sâouvrait comme lâoeil dâun vieil aigle ; Son front de marbre avait lâair fait pour le laurier ! IV Telles vous cheminez, stoĂŻques et sans plaintes, A travers le chaos des vivantes citĂ©s, MĂšres au coeur saignant, courtisanes ou saintes, Dont autrefois les noms par tous Ă©taient citĂ©s. Vous qui fĂ»tes la grĂące ou qui fĂ»tes la gloire, Nul ne vous reconnaĂźt ! un ivrogne incivil Vous insulte en passant dâun amour dĂ©risoire ; Sur vos talons gambade un enfant lĂąche et vil. Honteuses dâexister, ombres ratatinĂ©es, Peureuses, le dos bas, vous cĂŽtoyez les murs ; Et nul ne vous salue, Ă©tranges destinĂ©es ! DĂ©bris dâhumanitĂ© pour lâĂ©ternitĂ© mĂ»rs ! Mais moi, moi qui de loin tendrement vous surveille, Lâoeil inquiet, fixĂ© sur vos pas incertains, Tout comme si jâĂ©tais votre pĂšre, ĂŽ merveille ! Je goĂ»te Ă votre insu des plaisirs clandestins Je vois sâĂ©panouir vos passions novices ; Sombres ou lumineux, je vis vos jours perdus ; Mon coeur multipliĂ© jouit de tous vos vices ! Mon Ăąme resplendit de toutes vos vertus ! Ruines ! ma famille ! ĂŽ cerveaux congĂ©nĂšres ! Je vous fais chaque soir un solennel adieu ! OĂč serez-vous demain, Ăves octogĂ©naires, Sur qui pĂšse la griffe effroyable de Dieu ?
Ă Victor Hugo I Dans les plis sinueux des vieilles capitales, OĂč tout, mĂȘme l'horreur, tourne aux enchantements, Je guette, obĂ©issant Ă mes humeurs fatales, Des ĂȘtres singuliers, dĂ©crĂ©pits et charmants. Ces monstres disloquĂ©s furent jadis des femmes, Ăponyme ou LaĂŻs ! Monstres brisĂ©s, bossus Ou tordus, aimons-les ! Ce sont encor des Ăąmes. Sous des jupons trouĂ©s et sous de froids tissus Ils rampent, flagellĂ©s par les bises iniques, FrĂ©missant au fracas roulant des omnibus, Et serrant sur leur flanc, ainsi que des reliques, Un petit sac brodĂ© de fleurs ou de rĂ©bus ; Ils trottent, tout pareils Ă des marionnettes ; Se traĂźnent, comme font les animaux blessĂ©s, Ou dansent, sans vouloir danser, pauvres sonnettes OĂč se pend un DĂ©mon sans pitiĂ© ! Tout cassĂ©s Qu'ils sont, ils ont des yeux perçants comme une vrille, Luisants comme ces trous oĂč l'eau dort dans la nuit ; Ils ont les yeux divins de la petite fille Qui s'Ă©tonne et qui rit Ă tout ce qui reluit. - Avez-vous observĂ© que maints cercueils de vieilles Sont presque aussi petits que celui d'un enfant ? La mort savante met dans ces biĂšres pareilles Un symbole d'un goĂ»t bizarre et captivant, Et lorsque j'entrevois un fantĂŽme dĂ©bile Traversant de Paris le fourmillant tableau, Il me semble toujours que cet ĂȘtre fragile S'en va tout doucement vers un nouveau berceau ; Ă moins que, mĂ©ditant sur la gĂ©omĂ©trie, Je ne cherche, Ă l'aspect de ces membres discords, Combien de fois il faut que l'ouvrier varie La forme d'une boĂźte oĂč l'on met tous ces corps. - Ces yeux sont des puits faits d'un million de larmes, Des creusets qu'un mĂ©tal refroidi pailleta... Ces yeux mystĂ©rieux ont d'invincibles charmes Pour celui que l'austĂšre Infortune allaita ! II De Frascati dĂ©funt Vestale enamourĂ©e ; PrĂȘtresse de Thalie, hĂ©las ! Dont le souffleur EnterrĂ© sait le nom ; cĂ©lĂšbre Ă©vaporĂ©e Que Tivoli jadis ombragea dans sa fleur, Toutes m'enivrent ! Mais parmi ces ĂȘtres frĂȘles Il en est qui, faisant de la douleur un miel, Ont dit au DĂ©vouement qui leur prĂȘtait ses ailes Hippogriffe puissant, mĂšne-moi jusqu'au ciel ! L'une, par sa patrie au malheur exercĂ©e, L'autre, que son Ă©poux surchargea de douleurs, L'autre, par son enfant Madone transpercĂ©e, Toutes auraient pu faire un fleuve avec leurs pleurs ! III Ah ! Que j'en ai suivi de ces petites vieilles ! Une, entre autres, Ă l'heure oĂč le soleil tombant Ensanglante le ciel de blessures vermeilles, Pensive, s'asseyait Ă l'Ă©cart sur un banc, Pour entendre un de ces concerts, riches de cuivre, Dont les soldats parfois inondent nos jardins, Et qui, dans ces soirs d'or oĂč l'on se sent revivre, Versent quelque hĂ©roĂŻsme au cĆur des citadins. Celle-lĂ , droite encor, fiĂšre et sentant la rĂšgle, Humait avidement ce chant vif et guerrier ; Son Ćil parfois s'ouvrait comme Ćil d'un vieil aigle ; Son front de marbre avait l'air fait pour le laurier ! IV Telles vous cheminez, stoĂŻques et sans plaintes, Ă travers le chaos des vivantes citĂ©s, MĂšres au cĆur saignant, courtisanes ou saintes, Dont autrefois les noms par tous Ă©taient citĂ©s. Vous qui fĂ»tes la grĂące ou qui fĂ»tes la gloire, Nul ne vous reconnaĂźt ! Un ivrogne incivil Vous insulte en passant d'un amour dĂ©risoire ; Sur vos talons gambade un enfant lĂąche et vil. Honteuses d'exister, ombres ratatinĂ©es, Peureuses, le dos bas, vous cĂŽtoyez les murs ; Et nul ne vous salue, Ă©tranges destinĂ©es ! DĂ©bris d'humanitĂ© pour l'Ă©ternitĂ© mĂ»rs ! Mais moi, moi qui de loin tendrement vous surveille, Ćil inquiet, fixĂ© sur vos pas incertains, Tout comme si j'Ă©tais votre pĂšre, ĂŽ merveille ! Je goĂ»te Ă votre insu des plaisirs clandestins Je vois s'Ă©panouir vos passions novices ; Sombres ou lumineux, je vis vos jours perdus ; Mon cĆur multipliĂ© jouit de tous vos vices ! Mon Ăąme resplendit de toutes vos vertus ! Ruines ! Ma famille ! Ă cerveaux congĂ©nĂšres ! Je vous fais chaque soir un solennel adieu ! OĂč serez-vous demain, Ăves octogĂ©naires, Sur qui pĂšse la griffe effroyable de Dieu ?
Yves Charnet a privilĂ©giĂ© le mode de la lettre Ă pour dire son admiration de sorte que celle-ci soit sensible au coeur. Ce qui nâexclut nullement la finesse des analyses ! Celle-ci sâadresse Ă Claude Pichois qui nous a quittĂ©s rĂ©cemment, et dont sait les travaux sur GĂ©rard de Nerval et Charles Baudelaire. Ă lire aussi dâYves Charnet sur une lettre Ă Pierre Bergounioux, une lettre Ă Olivier Rolin. Lâorage rajeunit les fleursune lettre Ă Claude Pichois Choisissant de mâadresser Ă vous devant des jeunes gens auxquels le hasard des programmes a remis entre les mains, pour prĂ©parer leur AgrĂ©gation, Les Fleurs du Mal, je veux bien sĂ»r rappeler - cher Claude Pichois - que, par votre patient et mĂ©thodique travail dâĂ©diteur comme de biographe, vous aurez changĂ© jusquâaux conditions mĂȘmes de la lecture dâun livre qui se confond avec lâorigine de notre poĂ©sie moderne. Je tiens surtout Ă marquer que, dans ma propre existence, je nâaurais pas, sans votre insistante vigilance, retrouvĂ© lâĂ©nergie de mâaventurer sur nouveaux frais dans lâexpĂ©rience dâune autre traversĂ©e de ces poĂšmes. La nature singuliĂšre des liens qui se sont nouĂ©s entre nous quand, consacrant ma thĂšse aux Ă©crits esthĂ©tiques du poĂšte, il mâa donc Ă©tĂ© donnĂ© de vous rencontrer, comme la constante attention dont, depuis 1992, vous aurez encouragĂ© mes tentatives pour comprendre, chez Baudelaire, la poĂ©tique de lâĂ©nergie lyrique - ces façons de main tendue relĂšvent, sans doute, de lâamitiĂ©. Il nây a pas lieu, bien sĂ»r, de gloser ici des circonstances privĂ©es. Mais câest lâoccasion de manifester publiquement une dette. Et plus que cela. La reconnaissance de ce que, dans nos vies, le travail, la pensĂ©e, les tentatives dâĂ©crire doivent Ă la chance, vous savez, des rencontres. Mâadressant Ă des jeunes gens qui sont ce que je fus Ă leur place - candidat moi-mĂȘme, la derniĂšre fois que les Fleurs Ă©taient, en 1989, au programme du Concours - , je voudrais donc aujourdâhui continuer Ă voix haute cet interminable entretien qui donne son rythme Ă nos conversations baudelairiennes. Les organisateurs de ces nĂ©cessaires JournĂ©es dâĂ©tudes » voudront bien me pardonner de ne plus ĂȘtre capable de mâexprimer selon des codes strictement acadĂ©miques. Et de ne pouvoir penser que dans le risque de cette adresse singuliĂšre que sont ces petites lettres critiques dont la maniĂšre sâest imposĂ©e progressivement Ă la sorte dâĂ©crivain que jâessaye dâĂȘtre. Un Ă©crivain baudelairien - au sens dâune active interaction, vous savez, entre la poĂ©tique et le poĂšme. Je voudrais commencer cette lettre par ce qui constitue significativement la fin dâune des sommes que vous aurez consacrĂ©es au poĂšte, ce Baudelaire, Ă©tudes et tĂ©moignages qui contient, dans sa nouvelle Ă©dition revue et augmentĂ©e » La BaconniĂšre, 1976, le texte inĂ©dit dont, cherchant Ă relire Les Fleurs du Mal, jâaimerais, aujourdâhui, repartir. Baudelaire ou la difficultĂ© crĂ©atrice », tel est le titre de cette Ă©tude qui conclut votre ouvrage sur la maniĂšre originale dont notre poĂšte a su, de la difficultĂ© dâĂȘtre et de crĂ©er, faire une difficultĂ© vraiment crĂ©atrice de nouvelles valeurs esthĂ©tiques ». Venant aprĂšs un examen trĂšs prĂ©cis des relations entre lâĂ©tat physiologique et le pouvoir crĂ©ateur » chez un poĂšte dont on sait que - au-delĂ comme en deçà des affections physiologiques et psychiques dont les symptĂŽmes Ă©taient dĂ©clarĂ©s - il avait lui-mĂȘme diagnostiquĂ© sa maladie secrĂšte », votre Ă©tude pose, avec une rigoureuse prudence, les bases dâune interprĂ©tation qui, de cette difficultĂ© de crĂ©er », ferait un des traits majeurs de la gĂ©nĂ©tique et de la psychologie baudelairienne ». Vous insistez avec raison sur le fait que, entre 1821 et 1867, pendant quarante six annĂ©es dâune existence possĂ©dĂ©e par la dĂ©possession, on compte Ă peine, chez Baudelaire, deux pĂ©riodes de vĂ©ritable vitalitĂ© crĂ©atrice », se rĂ©partissant sur deux groupes dâannĂ©es 1842-1846 ; 1857-1861 ». Ă peine, en effet, une dizaine dâannĂ©es pour ce poĂšte dont sera condamnĂ©, en 1857, le seul livre vraiment voulu par lui que, de son vivant, il aura vu paraĂźtre. Du dieu de lâimpuissance » dont Samuel Cramer, lâun de ses premiers doubles, se rĂ©clame au roi dâun pays pluvieux » que lâun des Spleen montre impuissant, jeune et pourtant trĂšs vieux », il faudrait, reprenant la massive biographie que vous avez consacrĂ©e Ă Baudelaire, retracer lâitinĂ©raire existentiel de ce poĂšte qui, songeant fraternellement Ă un autre errant dĂ©sĆuvrĂ©, confie Ă Poulet-Malassis Je me suis senti attaquĂ© dâune espĂšce de maladie Ă la GĂ©rard, Ă savoir la peur de ne plus pouvoir penser, ni Ă©crire une ligne ». On referait avec profit la genĂšse de cette impuissance littĂ©raire ». Dans une lettre encore, Baudelaire ne cache pas Ă sa mĂšre lâeffroi dans lequel le prĂ©cipite, en effet, cette idĂ©e folle ». Le dĂ©sĆuvrement, câest-Ă -dire lâabsence dâĆuvre. LâimpossibilitĂ© de faire » - comme le dit Le Mauvais Moine - Du spectacle vivant de ma triste misĂšre / Le travail de mes mains et lâamour de mes yeux ». Respectant le contrat propre Ă ces deux JournĂ©es dâĂ©tudes », je me contenterai ici de reprendre Ă mon compte lâhypothĂšse qui conclut votre article sur la difficultĂ© crĂ©atrice » - hypothĂšse selon laquelle Baudelaire traiterait cette impuissance comme lâun des objets de sa poĂ©sie ». Baudelaire, Ă©crivez-vous, ne cesse de sâausculter. Il se demande jusques Ă quand lâaccompagnera la Muse malade. » Si vous soulignez Ă juste titre quâil nâest pas, dans notre poĂ©sie, le premier membre de la famille des inspirĂ©s maigres », ceux qui craignent toujours de voir tarir leur inspiration », vous diffĂ©renciez cependant Baudelaire de Du Bellay, Vigny, Nerval, en affirmant, quâavant lui, jamais la poĂ©sie ne sâĂ©tait prise elle-mĂȘme, systĂ©matiquement, pour objet de la crĂ©ation ». Câest cette hypothĂšse que je voudrais donc mettre Ă lâĂ©preuve dâune relecture - aussi peu systĂ©matique » que possible... - des Fleurs du Mal. En commençant par rappeler lâĂ©vidence selon laquelle ce livre - affirmant, dans son titre mĂȘme, la lettre de son projet - se propose bien de se demander - la poĂ©sie se faisant, vous savez, Ă coups de questions sans rĂ©ponse - comment le mal peut donner naissance Ă des fleurs. Câest dâailleurs le premier argument qui vient, et non sans une ironique insolence, Ă lâesprit de Baudelaire quand, Ă la demande de Poulet-Malassis, il rĂ©dige, en 1860, des essais de prĂ©face » pour la réédition de son livre condamnĂ© Des poĂ«tes illustres sâĂ©taient partagĂ© depuis longtemps les provinces les plus fleuries du domaine poĂ©tique. Il mâa paru plaisant, et dâautant plus agrĂ©able que la tĂąche Ă©tait plus difficile, dâextraire la beautĂ© du Mal. » Ce que vous appelez le fort oxymoron » de ce titre met au programme, et dâentrĂ©e de jeu, la difficultĂ© de faire de la crĂ©ation avec de la destruction. De donner un ordre au chaos. De figurer le nĂ©gatif dans la poĂ©sie. Le Mal lui-mĂȘme devient une origine. Nâest-ce pas le paradoxe dâune floraison, maladive autant que maudite, que notre poĂšte entend tenir dans le rythme dont se soutient, et de part et en part, le livre que commande un tel titre ? Ce Mal, la premiĂšre section des Fleurs commence par lui redonner son nom de maladie le spleen. Pensant encore choisir Les Limbes comme titre pour son livre, Baudelaire a prĂ©cocement identifiĂ© la tension propre Ă toute sa poĂ©tique. Le livre » que, en juin 1850, il annonce dans Le Magasin des familles nâest-il pas significativement destinĂ© Ă reprĂ©senter les agitations et les mĂ©lancolies de la jeunesse moderne » ? DĂšs son commencement le rythme-Baudelaire met en circulation dans le poĂšme lâinstable Ă©nergie du sujet dĂ©pressif. Le 9 avril 1851, Baudelaire nâhĂ©site pas Ă redire, dans Le Messager de lâAssemblĂ©e, que Les Limbes sera un livre destinĂ© Ă retracer lâhistoire des agitations spirituelles de la jeunesse moderne ». Il nâa pas encore trouvĂ© son titre. Sa poĂ©tique lâa dĂ©jĂ trouvĂ©. Câest lâinvention dâune historicitĂ© singuliĂšre. LâavĂšnement dâune irrĂ©ductible modernitĂ©. Celle du sujet agitĂ© qui fait de la mĂ©lancolie le mouvement mĂȘme de son poĂšme. ExpĂ©rience dâune pression propre Ă la dĂ©pression. Expression dâune Ă©nergie qui fera pousser le poĂšme Ă mĂȘme la dĂ©composition. Dressant le bilan dâune jeunesse » qui ne fut quâun tĂ©nĂ©breux orage », un sonnet comme LâEnnemi montre comment le ravage » peut paradoxalement constituer une chance de renaissance Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rĂȘve / Trouveront dans ce sol lavĂ© comme une grĂšve / Le mystique aliment qui ferait leur vigueur ? » La poĂ©tique baudelairienne de lâĂ©nergie crĂ©atrice contient, vous savez, son propre paysage. La comparaison du poĂšme Ă une fleur implique de prendre au sĂ©rieux ce que dit le poĂšte Ă propos de sa façon de cultiver son livre-jardin. Il convient, pour comprendre le choix que va faire Baudelaire dâune Ă©nergie maudite, de mettre en regard les deux paysages que proposent, dâune part, LâEnnemi et, dâautre part, La Rançon. Faisant parti des Douze poĂšmes primitivement envoyĂ©s Ă Gautier, La Rançon montre Ă quoi auraient pu ressembler des fleurs du Bien », religieusement cultivĂ©es sous le regard de Dieu, plutĂŽt que ces fleurs maladives » que Baudelaire aura finalement offertes au patron de /s/a dĂ©tresse », Satan. Dans La Rançon lâhomme » a, vous savez, vocation Ă dĂ©fricher, avec le fer de sa raison », deux champs au tuf profond et riche » Lâun est lâArt, et lâautre lâAmour ». Arrosant ces deux champs avec les pleurs salĂ©s de son front gris », le bon cultivateur espĂšre montrer », au jour du Jugement, des granges / Pleines de moissons, et des fleurs / Dont les formes et les couleurs / Gagnent le suffrage des Anges ». Nous voici bien loin des mĂ©lancoliques convulsions de la jeunesse moderne qui font, vous vous en souvenez, le programme de ce livre que, dans ses notes pour son avocat, Baudelaire, prĂ©sentera, en 1857, comme un livre destinĂ© Ă reprĂ©senter LâAGITATION DE LâESPRIT DANS LE MAL ». Ce livre atroce », selon la fameuse formule que, en fĂ©vrier 1866, notre poĂšte inscrira dans une des derniĂšres lettres de sa vie consciente. Baudelaire nâa finalement intĂ©grĂ© La Rançon Ă aucune des versions successives des Fleurs du Mal. DĂšs lâĂ©dition de 1857 la problĂ©matique exposĂ©e par ce poĂšme se trouve prĂ©sente, et de tout autre façon, dans le sonnet qui prĂ©cĂšde immĂ©diatement LâEnnemi. Le sujet qui parle dans Le Mauvais Moine sâavance en effet comme le double antithĂ©tique du bon cultivateur. Il se dĂ©finit lui-mĂȘme comme mauvais » au sens oĂč, moine fainĂ©ant », il se dĂ©couvre radicalement incapable de travailler la terre. De travailler de ses mains. Figure du poĂšte sans Ćuvre, ce mauvais cultivateur ressent avec dâautant plus de culpabilitĂ© son impuissance quâil se souvient de ces temps oĂč du Christ florissaient les semailles ». LâacĂ©die dont souffre, Ă lâĂ©vidence, ce mauvais cĂ©nobite » fait de lui le frĂšre du sujet poĂ©tique qui tente, en cultivant prĂ©cisĂ©ment des fleurs du Mal », de donner sens Ă sa coupable paresse. Baudelaire ne peut choisir dâinterprĂ©ter la mĂ©lancolie comme une Ă©nergie moderne quâen imaginant une nouvelle mythologie de lâĂ©nergie crĂ©atrice. Quâen assumant de renverser en nĂ©gatif ce que lâancienne mythologie prĂ©sentait, jusquâĂ lui, comme positif. Des Fleurs du Bien aux Fleurs, oui, du Mal. Il y va, comme toujours avec le poĂšme, dâune rĂ©invention des valeurs. Sous couvert dâenquĂȘter sur lâinspiration, ce sont ainsi tous les premiers poĂšmes de Spleen et IdĂ©al qui travaillent Ă reconfigurer ce nouveau paysage mental. Les commentaires dont, dans lâĂ©dition PlĂ©iade, vos notes accompagnent ce cycle inaugural de lâinspiration » montrent que cette dĂ©cision de rompre avec lâancien ordre des choses ne va pas, dans lâouverture mĂȘme du livre, sans remords. Baudelaire ne dissimule pas ses nombreuses rĂ©sistances Ă faire poĂ©tiquement le deuil des Ă©poques nues » dont il aime », en effet, le souvenir ». Il nây en a sans doute que dâautant plus de prix Ă assister Ă cette violente mise en place dâune autre poĂ©tique. Ă cette instable articulation du spleen et de lâidĂ©al. Ă cette perturbante promotion dâun idĂ©al intĂ©grant le spleen. Ănergie subversive que, faute de mieux, le poĂšte nommera mon rouge idĂ©al ». Nom sans nom de lâobscur ennemi » auquel doit, dĂ©sormais, faire une place cette Ăąme vide » que, Ă la fin presque du livre, Horreur sympathique rĂ©vĂ©lera comme celle dâun nouvel Ovide. Insatiablement avide », vous savez, de lâobscur et de lâincertain ». Ăprouvant dĂ©sormais la mĂ©lancolie comme Ă©nergie crĂ©atrice, le sujet moderne doit renoncer Ă ses tentatives dâĂ©lĂ©vation. Surmonter son dĂ©sir de trouver une aile vigoureuse » pour sâĂ©lancer vers les champs lumineux et sereins ». Icare cassĂ©, le poĂšte ne peut que pleurer sur ses rĂȘves dâ un libre essor ». Et, comme Le Tasse dans le tableau de Delacroix, mesurer lâescalier de vertige oĂč sâabĂźme son Ăąme ». Câen est fini de cette agilitĂ© » qui, dans lâancienne mythologie, permettait Ă lâhomme et la femme » dâexercer la santĂ© de leurs nobles machines ». Le sujet de la mĂ©lancolie moderne reste inconsolable de perdre de vue ces temps merveilleux oĂč la ThĂ©ologie / Fleurit avec le plus de sĂšve et dâĂ©nergie ». Lâultime Projet de prĂ©face » se rĂ©signe Ă regret Ă prĂ©senter Les Fleurs du Mal pour ce quâelles sont. Un produit discordant de la Muse des Derniers jours ». Pour comprendre les raisons historiques de cette nostalgique fascination, il nâest, par exemple, que de revenir au poĂšme qui relie Correspondances aux Phares. Ce nâest pas sans rĂ©pulsion que le PoĂšte » qui parle dans Jâaime le souvenir de ces Ă©poques nues se force Ă concevoir » la poĂ©tique moderne du sujet. Nous avons, il est vrai, nations corrompues, / Aux peuples anciens des beautĂ©s inconnues / Des visages rongĂ©s par les chancres du cĆur, / Et comme qui dirait des beautĂ©s de langueur ; / Mais ces inventions de nos muses tardives / NâempĂȘcheront jamais les races maladives / De rendre Ă la jeunesse un hommage profond. » Dans la mythologie de la vie moderne dont Baudelaire sâefforce dĂ©sormais de mettre en Ćuvre le programme poĂ©tique il sâagit de faire rimer langueur et vigueur. De trouver une langue, comme dirait Rimbaud, pour cette pauvre muse » aux yeux creux ». Maintenant quâelle est malade », sa maniĂšre de parler ne peut pas ne pas ĂȘtre profondĂ©ment affectĂ©e. Autre corps, autre rythme. DâoĂč cette dĂ©ception de constater quâil ne sert plus Ă rien, vous savez, dâadresser encore Ă la Muse ancienne pareille priĂšre surannĂ©e Je voudrais quâexhalant lâodeur de la santĂ© / Ton sein de pensers forts fut toujours frĂ©quentĂ©, / Et que ton sang chĂ©tien coulĂąt Ă flots rythmiques / Comme les sons nombreux des syllabes antiques, / OĂč rĂšgnent tour Ă tour le pĂšre des chansons, / PhĆbus, et le grand Pan, le seigneur des moissons. » Câest en effet avec paysages parisiens » que, dans lâĂ©dition de 1861, le poĂšte de la vie moderne devra composer » dâautres Ă©glogues ». Il appellera donc Muse, les fleuves de charbon » que chaque citadin voit monter au firmament ». Fantasque escrime » que ces hasards de la rime » quâil faut dĂ©sormais apprendre Ă flairer dans tous les coins » et recoins du vieux faubourg ». Le paysage de la nouvelle mythologie de lâĂ©nergie crĂ©atrice nâest plus, en 1861, le jardin de lâEnnemi oĂč reste bien peu de fruits vermeils ». Mais la ville de CrĂ©puscule du soir oĂč la Prostitution sâallume dans les rues ». Dans Spleen et IdĂ©al, un poĂšme de lâĂ©dition de 1857 me paraĂźt significativement faire la transition entre ces deux mythologies du rythme. Dans Une nuit que jâĂ©tais prĂšs dâune affreuse Juive le sujet baudelairien participe Ă la fois du rĂ©gime antique et du rĂ©gime moderne de la beautĂ©. Sa propre pensĂ©e se trouve, et dans son intimitĂ© mĂȘme, activement traversĂ©e par cette division. Si le corps vendu » de la prostituĂ©e prĂšs de laquelle il est Ă©tendu » porte - au point dâĂȘtre comparĂ© Ă un cadavre » ! - les marques morbides du corps moderne, en revanche, la triste beautĂ© dont /s/on dĂ©sir se prive » se caractĂ©rise par la majestĂ© native » propre, selon lâĂ©rotique baudelairienne, aux femmes antiques. Aussi lâactivitĂ© fantasmatique du sujet dĂ©sirant privilĂ©gie-t-elle encore, chez la reine des cruelles », son regard de vigueur et de grĂąces armĂ©, / Ses cheveux qui lui font un casque parfumĂ©, / Et dont le souvenir pour lâamour /l/e ravive ». Ce nâest quâavec lâĂ©dition de 1861 que sâaccomplit dĂ©finitivement cette difficile rupture avec lâancienne mythologie de lâĂ©nergie crĂ©atrice. Si lâajout de la section Tableaux parisiens Ă la primitive architecture » des Fleurs constitue, pour la poĂ©tique baudelairienne, un tournant, nâest-ce pas parce que, dans ce nouveau paysage oĂč circulent des corps Ă la beautĂ© dĂ©figurĂ©e, tout, mĂȘme lâhorreur, tourne aux enchantements » ? La fascination que va, par exemple, Ă©prouver le sujet pour les petites vieilles » rĂ©vĂšle une irrĂ©versible conversion du dĂ©sir baudelairien. Une dĂ©finitive identification du sujet Ă ces ruines » qui constituent, dĂ©sormais, sa famille ». Une radicale acceptation dâune autre Ă©nergie. Ănergie crĂ©atrice en voie dâĂ©puisement. Ănergie dĂ©traquĂ©e caractĂ©risant la pensĂ©e propre aux cerveaux congĂ©nĂšres » de ces Ăves octogĂ©naires » qui valent, pour parler comme Jean Starobinski, comme rĂ©pondants allĂ©goriques » du poĂšte. Ce sujet qui nâhĂ©sitera, vous savez, Ă se comparer Ă ces femmes sensibles et dĂ©sĆuvrĂ©es » postant des lettres Ă des chers disparus, a sans doute fini par ne plus trouver autre chose, dans lâĂ©criture, quâune Ă©nergie pour la mort. Changement de dĂ©cor et de corps, la substitution du vieux Paris » Ă la Nature de lâidylle traditionnelle correspond donc au passage du rĂ©gime ancien au rĂ©gime moderne de lâĂ©nergie poĂ©tique. DĂ©pression de lâexpression. Une Ă©nergie destructrice prĂ©sidera, dĂ©sormais, Ă lâactivitĂ© crĂ©atrice. La mĂ©lancolie comme origine du lyrisme Ă venir. Câest le nouveau pacte que, au seuil des Tableaux parisiens, scelle un poĂšme comme Le Cygne. Puisque rien ne bouge dans sa mĂ©lancolie, le sujet baudelairien choisit de faire de cette immobilitĂ© bilieuse le paradoxal mouvement de son poĂšme. Câest par son dĂ©sĆuvrement mĂȘme que ce sujet vacant va sâouvrir Ă la nĂ©gativitĂ© dont sâavĂšre irrĂ©mĂ©diablement affectĂ©e la vie moderne. Vieux faubourgs, tout pour moi devient allĂ©gorie ». AllĂ©gorie de quoi ? De cette Ă©nergie Ă rebours dont, faisant le deuil de la vigueur antique, Baudelaire comprend que, non seulement elle caractĂ©rise la langueur moderne, mais quâelle constitue surtout la matiĂšre explosive propre Ă son expĂ©rience de lâimpossible. Cette expĂ©rience de quiconque a perdu », comme le rappelle Le Cygne, ce qui ne se retrouve / Jamais, jamais ». Ăcrivant de tels tableaux parisiens », Baudelaire sait, en 1859, quâil ne retrouvera jamais cette positivitĂ© mythique de lâancienne Ă©nergie Ă quoi, dans son ambition la plus aveuglĂ©e, a pu prĂ©tendre encore le lyrisme romantique. Dans les plis sinueux des vieilles capitales », la souverainetĂ© nâest plus lâaffaire dâune prĂ©sence solaire et opulente. Barbe, Ćil, dos, bĂąton, loques ». Le poĂšte doit faire avec lâabsence, la nuit, le manque. Le rythme compose avec un poĂšme amaigri. Le sujet lyrique a dĂ©sormais le souffle court. Le souffle coupĂ©. Comme, devant lâapparition de ces spectres baroques », le promeneur Ă©pouvantĂ© qui parle dans Les Sept Vieillards. Ce sujet hantĂ© par les fantĂŽmes parisiens » qui - Ă lâinsu des monstres disloquĂ©s » dont il surveille » les mouvements de marionnettes » - goĂ»te », vous savez, des plaisirs clandestins ». Les petites vieilles » qui sont la proie de son voyeurisme deviennent en effet lâallĂ©gorie de cette Ă©nergie Ă lâenvers auquel le poĂšme va dĂ©sormais demander son bizarre Ă©lan. Ce mouvement renversant fait la fascination du rĂŽdeur parisien » qui, entrevoyant un fantĂŽme dĂ©bile » pendant sa promenade, imagine que cet ĂȘtre fragile / Sâen va tout doucement vers un nouveau berceau ». LâĂ©nergie ruineuse qui met en branle le lyrisme moderne est celle qui, dans la vieillesse mĂȘme, recherche une autre renaissance. Telle est la poĂ©tique oxymorique que, et de plus en plus rĂ©solument, Baudelaire va, dans Les Fleurs du Mal, mettre en Ćuvre. DĂšs le second poĂšme des Tableaux parisiens cette problĂ©matique Ă©tait dĂ©jĂ posĂ©e. En effet, dans Le Soleil, lâastre du jour est comparĂ© au poĂšte » en ce que, conformĂ©ment Ă lâantique mythologie, il Ă©veille dans les champs les vers comme les roses », mais aussi en ce que, conformĂ©ment Ă la mythologie moderne, il descend dans les villes » pour ennoblir le sort des choses les plus viles ». Et, dans cette seconde perspective, la moindre de ses actions nâest pas, vous vous en doutez, de rajeunir les porteurs de bĂ©quilles ». De les rendre gais et doux comme des jeunes filles ». Peut-ĂȘtre, recevant Les Fleurs du Mal, Flaubert fut-il aussi sensible au singulier renversement auquel travaillait un tel livre. Il remercia significativement Baudelaire dâavoir trouvĂ© le moyen de rajeunir le romantisme ». Pareille poĂ©tique du rajeunissement ne vous paraĂźt-elle pas caractĂ©riser lâinvention propre au sujet baudelairien pour redonner au lyrisme moderne une autre Ă©nergie ? LâĂ©nergie noire dâune vitalitĂ© convulsive. Câest la vitalitĂ© sans vitalitĂ© de lâEnnui » qui, dĂšs Au Lecteur, permet, dans un baĂźllement », dâavaler le monde. Lâobscure vitalitĂ© de lâorage qui, dans LâEnnemi, creuse des trous grands comme des tombeaux ». La vitalitĂ© rouge de Lady Macbeth que LâIdĂ©al prĂ©sente comme une Ăąme puissante au crime ». Câest encore, bien sĂ»r, la rĂ©pugnante vitalitĂ© de la carcasse » en dĂ©composition » dont les vivants haillons », dans Une Charogne, dĂ©goulinent de larves ». La vitalitĂ© mortifĂšre qui, dans leur fureur », pousse les amants ulcĂ©rĂ©s » de Duellum Ă transformer en duel leur duo. Afin dâĂ©terniser lâardeur de /leur/ haine ». La vitalitĂ© rĂ©surrectionniste qui fait jaillir toute vive une Ăąme qui revient ». Quand parfois on trouve un vieux flacon qui se souvient ». La vitalitĂ© fĂȘlĂ©e de la voix du sujet lyrique. Quand elle veut de ses chants peupler lâair froid des nuits », cette voix impossible ressemble au rĂąle Ă©pais dâun blessĂ© quâon oublie / Au bord dâun lac de sang, sous un grand de tas de morts / Et qui meurt, sans bouger, dans dâimmenses efforts ». La vitalitĂ© spleenĂ©tique de ce jeune squelette » au dĂ©sir dĂ©sastreux - de ce cadavre hĂ©bĂ©tĂ© / OĂč coule au lieu de sang lâeau verte du LĂ©thĂ© ». La vitalitĂ© sadique de cet amant masochiste qui, dans LâHĂ©autontimoroumĂ©nos, menace de frapper sa partenaire sans colĂšre / Et sans haine, comme un boucher », pour faire, dans ses pleurs salĂ©s », nager son dĂ©sir gonflĂ© dâespĂ©rance ». La dĂ©vorante vitalitĂ© de la vie mĂȘme qui finit par signifier son arrĂȘt de mort au vieux lĂąche » quâincarne, selon LâHorloge, le sujet du dĂ©sir. De cette ruineuse vitalitĂ© le sujet baudelairien a donc Ă©prouvĂ© quâelle est autant lâĂ©nergie de lâennui que le travail de la mort. Ce lyrisme nĂ©gatif a, comme vous savez, le dernier mot dans Les Fleurs du Mal. Câest celui, par exemple, dâun des ultimes poĂšmes apportĂ©s par lâĂ©dition posthume de 1868. Madrigal triste contient, en effet, la formule de cette vitalitĂ© maudite dont Baudelaire aura choisi de ne pas protĂ©ger sa propre expĂ©rience poĂ©tique Lâorage rajeunit les fleurs. » Dans le jardin que cultivait en secret le poĂšte qui parle dans LâEnnemi lâorage avait fait un tel ravage » que, vous vous en souvenez, la pousse mĂȘme de fleurs nouvelles » paraissait menacĂ©e. La Mort des artistes concluait encore lâĂ©dition de 1857 sur lâĂ©trange espoir que, comme un Soleil nouveau », la Mort fasse, dans le cerveau » des crĂ©ateurs, sâĂ©panouir les fleurs ». Paru pour la premiĂšre fois en mai 1861, Madrigal triste tire de cette poĂ©tique de la destruction crĂ©atrice la radicale conclusion que je viens de vous rappeler. Encore convient-il de noter que si lâorage rajeunit les fleurs », câest comme les pleurs / ajoutent un charme au visage ». Le sadisme propre au sujet baudelairien trouve dans ce madrigal Ă rebrousse-poil lâoccasion dâune de ces galanteries » qui font souvent de son lyrisme amoureux un exercice de la cruautĂ©. Câest dâailleurs dans un des poĂšmes significativement recueillis dans Galanteries que, et dans toute sa cruditĂ©, vous trouverez lâultime expression, sans doute, de ce dĂ©sir quasi tĂ©ratologique pour une femme que lâĂąge a commencĂ© de changer en vieux monstre ». Sâadressant Ă sa vieille infante » le sujet confesse, en effet, prĂ©fĂ©rer, aux fleurs banales du Printemps », les fruits » de lâ Automne ». Trouvant des grĂąces particuliĂšres » Ă cette carcasse » qui nâest plus celle dâ un tendron », il sâavoue fascinĂ© par sa jambe musculeuse et sĂšche » qui, malgrĂ© la neige et la dĂšche », sait danser les plus fougueux cancans ». ComposĂ© en 1866, Le Monstre, un des derniers poĂšmes en vers de Baudelaire, propose une version agressivement satirique de cette Ă©nergie nĂ©gative qui me paraĂźt donner son rythme au lyrisme convulsif dont est traversĂ©, de part en part, un livre comme Les Fleurs du Mal. Ce poĂšme aux allures de galanterie scandaleuse nâa dâailleurs pas dâautre conclusion quâune cynique ? provocation. Le sujet baudelairien justifie sa passion pour cette trĂšs chĂšre » qui nâest plus fraĂźche ». Dans ce vieux chaudron », bouillonnent » encore les Ă©nergies du dĂ©sir Le jeu, lâamour, la bonne chĂšre ». Voici la derniĂšre dĂ©claration dâamour dâun poĂšte fascinĂ© jusquâau sarcasme par la beautĂ© dĂ©composĂ©e Voulant du Mal chercher la crĂšme / Et nâaimer quâun monstre parfait, / Vraiment oui ! vieux monstre, je tâaime ! » ... La rĂȘverie critique dont lui vient son mouvement arrivant maintenant Ă son terme, je voudrais revenir au commencement de cette lettre qui mâa permis - cher Claude Pichois - de relire avec vous quelques-uns des poĂšmes oĂč Baudelaire a singuliĂšrement aiguisĂ©, dans Les Fleurs du Mal, les paradoxes propres Ă lâĂ©nergie lyrique. Si persistait malgrĂ© tout » - comme vous lâĂ©crivez dans votre Ă©tude intitulĂ©e LâUnivers des Fleurs du Mal » - dans lâĂ©dition de 1857 une jeunesse confiante », il me semble que, perdant cette confiance, prĂ©cisĂ©ment, dans la jeunesse mĂȘme du poĂšme, lâĂ©dition de 1861, et, avec plus dâironique cruautĂ© encore, les vers apportĂ©s par lâĂ©dition posthume de 1868, prenaient acte dâune double vieillesse de lâexpĂ©rience et de lâexpression. Ce brusque vieillissement ne me paraĂźt pas sans lien, vous lâaurez compris, avec une difficultĂ© crĂ©atrice » dont, et lâun des premiers, vous aurez fait remarquer que, chez ce poĂšte Ă©trangement dĂ©sĆuvrĂ©, elle constituait le rythme dâune Ă©criture en chute libre dans les gouffres de sa propre impuissance. Je continue dâĂȘtre, vous le savez, bouleversĂ© par la rĂ©plique que, sentant chaque annĂ©e davantage la parole lui manquer, Baudelaire choisit dâopposer Ă ce quâil aura sans doute vĂ©cu comme un dĂ©faut fondamental de sa pensĂ©e. Le poĂšte au cerveau ruinĂ© nâaura pas trouvĂ© dâautre remĂšde Ă sa maladie secrĂšte » que de donner la parole Ă cette Ă©nergie noire dont chaque poĂšme tente, pourtant, de sublimer la ravageuse puissance. Sâadressant Ă sa mĂšre le 6 mai 1861 - et câest une des lettres les plus cruciales pour une intime comprĂ©hension de Baudelaire - il formule significativement cette interrogation qui vaut pour son Ćuvre parce quâelle vaut pour sa vie Le rajeunissement est-il possible ? toute la question est lĂ ? » Choisissant de faire de la crĂ©ation avec de la destruction, Baudelaire reste moderne parce que sa poĂ©sie ne sĂ©pare jamais la rime et la vie. Il comprend, entre 1857 et 1861, que son destin lui fait une intraitable obligation incorporer Ă sa parole elle-mĂȘme lâĂ©nergie nĂ©gative de lâautodestruction quâimplique la radicale expĂ©rience de lâimpossible dans laquelle sa propre existence lâaura dramatiquement engagĂ©. Quand paraĂźt - toujours privĂ©e, bien sĂ»r, des six piĂšces condamnĂ©es par le procĂšs de 1857 - lâĂ©dition de 1861, Baudelaire a quarante ans. Il a plus de souvenirs que sâil avait mille ans. Les photographies que lâon connaĂźt de lui montrent un visage dĂ©truit. Il vient de recueillir dans Tableaux parisiens ses plus beaux poĂšmes - et quelques-uns comptent, encore, vous le savez, parmi les plus admirables de toute notre poĂ©sie. Ces poĂšmes, on nâa pas assez remarquĂ© que Baudelaire les a littĂ©ralement arrachĂ©s, me semble-t-il, au dĂ©sastre. Certains dâentre eux contiennent mĂȘme une prophĂ©tie de la catastrophe Ă venir. Ce nâest plus du jeu, la poĂ©sie. Ăa ne lâa jamais Ă©tĂ©. Le noir tableau » que, dans son sommeil trouĂ© de cauchemars, voit le sujet qui tente, dans Le Jeu, de redonner un sens Ă son effroi, ce rĂȘve nocturne » se passe de commentaire. Baudelaire y voit la limite de son ultime pari poĂ©tique, rajeunir sa façon de vivre et dâĂ©crire en accueillant les Ă©nergies mortifĂšres de la vieillesse. Nâavait-il pas accompli, et dĂšs les premiers poĂšmes finalement recueillis dans lâĂ©dition de 1857, la mĂȘme opĂ©ration avec les puissances convulsives du spleen ? Il se dĂ©couvre dans, Le Jeu, dĂ©finitivement sĂ©parĂ© de la vitalitĂ© fiĂ©vreuse de ces courtisanes vieilles » comme de la funĂšbre gaietĂ© » de ces vieilles putains ». Enviant de ces gens la passion tenace », le voici dĂ©jĂ vouĂ© au vide dont, avant mĂȘme lâaphasie de 1866, il pressent quâil a dĂ©jĂ commencĂ© de lâenvahir. La difficultĂ© crĂ©atrice est, pour reprendre - cher Claude Pichois - vos propres termes, tellement devenu lâobjet » de sa poĂ©sie que Baudelaire lui-mĂȘme nâest plus, dans ce poĂšme, quâun objet, en effet, de la difficultĂ© dâĂȘtre et de parler. Vous connaissez ces vers oĂč le sujet baudelairien se dĂ©double de la plus irrĂ©mĂ©diable façon Moi-mĂȘme, dans un coin de lâantre taciturne, / Je me vis accoudĂ©, froid, muet ». Toulouse, 28-31 octobre 2002 9 janvier 2005
dans les plis sinueux des vieilles capitales